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Il neigeait sur le manoir. Hadès s’était éveillé très tôt, ce mercredi. Le parc était entièrement couvert d’un tapis blanc. Hadès s’habilla chaudement, émietta du pain rassis dans un plat ébréché, y ajouta quelques cuillerées de saindoux, et, chaussé de ses bottes fourrées, fit la tournée des abris qu’il avait aménagés pour les oiseaux. Devant chacun des arbres où les nids artificiels — un rondin évidé — étaient installés, il déposa un peu de sa mixture. Puis il prit du recul. Au bout de quelques minutes, les têtes minuscules des oiseaux transis apparurent. Ils picorèrent la manne distribuée par Hadès. Satisfait, il regagna le manoir.
Le bâtiment était composé de deux ailes disposées en T. Hadès n’occupait que la partie correspondant à la barre verticale. Il avait abandonné le reste depuis trois ans. La toiture de cette aile s’en allait à vau-l’eau, et les murs, couverts de profondes lézardes, menaçaient de s’effondrer en maints endroits. Hadès n’en avait cure. La maison mourait, mais Lola avait retrouvé sa jeunesse. Qu’importaient les fissures dans cette vieille bâtisse, ridée par le temps, fatiguée, après tant d’années, d’abriter des amours misérables ? Lola avait retrouvé sa jeunesse.
Hadès vint la voir, dans sa chambre. Elle dormait d’un sommeil paisible. Hadès sourit. À voix basse, il dit :
— Il neige… Tout est blanc, au dehors. Il fait froid. Je m’en vais, pense à moi. Tu penseras à moi ?
Il ferma la porte de la chambre de Lola, doucement. La neige scintillait sous les rayons du soleil. Hadès sortit sa moto de la remise. Il vérifia le niveau d’huile, la tension de la chaîne, actionna le kick et fit tourner le moteur. Puis il pénétra dans la grande salle du manoir, revêtit sa combinaison imperméable, et, comme tous les jours, contrôla la bonne marche du groupe électrogène, prêt à suppléer l’EDF en cas de coupure de courant. La machine était installée dans la remise. Hadès, inquiet, scruta les nuages. L’année passée, toute la région avait été privée d’électricité durant deux jours, au mois de février. Il observa un instant le clignotement du mouchard électronique qui guettait l’éventuelle défaillance du réseau public.
Puis il enfourcha sa moto, coiffa le casque et se mit en route. Le chemin menant au portail était gelé. Sous la croûte de neige cassante, une pellicule glacée recouvrait la terre et les graviers. Hadès posa les pieds au sol pour ne pas glisser. Mais les services de la voirie avaient sablé la nationale, et il put rouler normalement jusqu’à Paris.
Il prit sa faction, comme tous les jours, tapi dans le studio, en face de l’entrée du square. Rien ne se passerait, aujourd’hui. Les visites seraient sans danger. Hadès en avait l’intuition. Il ne s’était jamais trompé, ou presque, dans ses prévisions. Comme si un quelconque génie, jailli d’une mystérieuse lampe, l’assistait dans sa tâche. Un génie ? L’idée le fit ricaner.